Une mère étrangère, de Daniele Laufer, (Bayard Récits, 2023) | par Justine Rein (LiMés)

Source : Editions Bayard

Publié chez Bayard Edition à l’occasion de la rentrée littéraire 2023, le livre Une mère étrangère de Danièle Laufer est décrit sur leur site comme étant « Un récit à deux voix, celles de l’autrice et de sa mère, sur la transmission et la mémoire traumatique ».

Il s’agit d’un récit universel sur le traumatisme causé par les camps de concentration sur une jeune femme qui a eu comme seule faute le fait d’être née de descendance juive, sur le fait qu’elle a eu beau en ressortir physiquement, elle n’a jamais réellement guéri de ce qu’elle y a subi. C’est également le récit d’une jeune fille qui n’a jamais réussi à comprendre sa mère qui était si froide avec elle pendant toute son enfance, et avec qui elle n’a pas pu former de réels liens, et qui a ainsi dû naviguer le monde sans pouvoir s’appuyer sur le soutien et confort celle-ci. Enfin, c’est le récit d’une rencontre entre une mère et sa fille, plus de 35 ans plus tard.

 

« Ma mère m’a fabriquée trop tôt après sa sortie de l’enfer, beaucoup trop tôt. Des années après, elle est toujours incapable de vivre. Elle se contente de survivre. » (page 14)

Nous avons d’un côté Danièle, une enfant pleine d’imagination, vivant avec ses parents à Casablanca, au Maroc, et qui entretien relation complexe avec sa mère, froide et détachée, et qui montre rarement l’affection qu’elle lui porte. Nous allons ainsi la voir grandir, faire ses premières expériences de vie, le tout affecté par cette relation compliquée avec sa mère.

 

« Très tôt, j’ai senti que les mots ne vivent pas tout seuls. Ils ont l’air cajoler pour mieux meurtrir. Ils plaisantent pour mieux blesser, ils murmurent pour égratigner. Les mots ne parlent vrai que dans les yeux. » (page 13)

Parallèlement, nous avons des chapitres narrés par sa mère, dans lesquels nous découvrons sa propre enfance en tant que jeune fille de confession juive, née en Allemagne en 1915, ainsi que son expérience dans les camps d’internement, puis de concentration, en tant que jeune femme. Bien que cette partie du récit soit à la première personne, le lecteur n’est pas particulièrement invité à se mettre dans la peau de la narratrice, mais plutôt dans celle de Danièle, qui découvre pour la première fois le contexte dans lequel sa mère a grandi. En effet, il s’agit en réalité d’un long monologue, et nous comprenons dès les premières lignes que la narratrice s’adresse directement à sa fille, qu’elle va interpeller ou tutoyer à plusieurs reprises, afin de lui raconter son histoire. Nous devinons simplement les interjections de Danièle, qui sont complètement coupées du texte dans le but de laisser entièrement place à sa mère dans le récit de sa vie.

On retrouve dans les chapitres narrés par Danièle plusieurs marques de ce traumatisme que sa mère a vécu dans les camps de concentration. Bien qu’il soit relativement facile pour un lecteur de comprendre cette peur des poux, où l’importance qu’elle apporte à la propreté ou au fait de terminer son assiette, Danièle, dépourvue de ce contexte dans lequel sa mère a vécu, ne comprend pas.

 

« Je veux faire une parenthèse, Danièle. Tu me reproches d’être maniaque. Tu comprends pourquoi, maintenant ? Je te parle souvent des endroits où j’ai vécu, des lits. Est-ce que tu peux imaginer à quel point il est capital d’avoir un coin à soi et un vrai lit ? »
(page 109)

Lorsque la sélection de livre nous a été présentée en septembre, j’ai tout de suite été intriguée par ce titre. Une mère étrangère. C’est alors avec curiosité que je l’ai choisi comme premier livre à lire de cette sélection de la rentrée littéraire 2023.

À plusieurs reprises, dans les chapitres narrés par la mère de Danièle, j’ai ressenti comme un sentiment de détachement émotionnel. Cela s’explique sûrement par le fait que l’autrice a conservé le témoignage tel que sa mère le lui a raconté, à l’exception de quelques notes de bas de page. J’ai interprété le fait de raconter son histoire de manière factuelle comme une façon de s’éloigner, et ainsi de se protéger, de ce passé qui l’a tant hanté.

Le thème de l’aliénation à la religion est également omniprésent tout au long du récit, en particulier dans les parties narrées par Danièle. En effet, bien qu’ayant grandis dans une famille de confession juive, elle ne connaît rien du judaïsme en grandissant. Par exemple, le Shabbat, qui est une journée pourtant centrale dans cette religion, est pour elle un rite inconnu. Une partie m’a particulièrement marqué : lors d’un après-midi chez des amis à ses parents, un de leurs enfants demande à une jeune Danièle qu’elle est sa religion. Lorsqu’elle lui répond qu’elle n’en a pas, il lui dit que ce n’est pas possible, seuls les fous n’ont pas de religion. Elle va alors voir son père pour lui demander, et il l’informe qu’ils sont juifs, comme s’il s’agissait d’une évidence, bien qu’elle n’ait pas été baignée dedans. C’est ainsi que Danièle a appris que sa famille était de confession juive.

Quoique difficile à certains moments, j’ai beaucoup apprécié ma lecture d’Une mère étrangère. La seconde Guerre Mondiale et les camps de concentrations sont des sujets qui ont été abordés tout au long de notre scolarité, mais la découverte de nouveaux témoignages permet toujours d’apprendre de nouveaux aspects de cette période de l’histoire. J’ai trouvé le choix de l’autrice de mélanger sa propre histoire avec celle de sa mère judicieux, puisque ça m’a permis, en tant que lectrice, de mieux me rendre compte de l’impact que ce que sa mère a vécu a eu sur elle. Que l’horreur ne s’est pas arrêtée à la sortie des camps, puisque ça l’a empêché de tisser des liens avec sa propre fille. Cela est d’autant plus triste que nous nous rendons vite compte au début du récit que Danièle est très similaire à sa mère dans son enfance, et qu’elles auraient pu être très proches, si ce n’était pour la douleur de son passé.

 

« Ce livre est la seule véritable rencontre qui ait jamais eu lieu entre ma mère et moi. Nous sommes réconciliées par-delà la mort. L’amour ne sera plus jamais empêché. »
(page 132)

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