Tumeur ou tutu de Léna Ghar (Éditions verticales, 2023) | par Paul Susini (Limès)

Tumeur ou tutu est le monologue intérieur d’une enfant qui cherche à comprendre l’Humanité pour s’y intégrer. Son titre, à l’image du récit, entrelace, dans un jeu de mots, les domaines du morbide et de l’enfance. Abordant des sujets pénibles et malgré la violence de ces évocations, ce n’est pas un roman qui dénonce mais un roman qui cherche. Pour ce faire, Léna Ghar explore le langage par la création de mots et les détournements lexicaux : elle invente un code langagier dont elle seule connait la clé. Empêtrée dans les méandres de sa propre cognition, la narratrice est en quête de sens. Nous avons alors deux possibilités : chercher les réponses avec elle ou nous laisser porter par la beauté de ses pensées.

Installés dans l’esprit de la narratrice, nous traversons avec elle ses années d’enfance dans un univers familial empli de douce violence. Nous voyons à travers ses yeux qui ne sont pas des fenêtres sur le monde mais des kaléidoscopes transformant la réalité dans son imaginaire enfantin. Cette enfant n’est pas une feuille blanche et lisse – à l’inverse des pages que nous tournons. Elle est froissée et entachée par le contexte dans lequel elle grandit. Sur elle, s’impriment les mots des adultes qu’elle s’approprie, les comprenant comme elle peut, avec les pièges de l’oralité. Cette appropriation de vocabulaire qu’elle interprète à sa manière, fais naitre en nous un malaise, voire de la pitié pour cette enfant qui ne mesure pas le poids des mots.

L’évolution de la narratrice jusqu’à l’âge adulte, nous permet de voir comment ce langage intérieur, cet imaginaire, se conserve au cours du temps comme les traumatismes. Elle évolue et s’émancipe mais ne parvient pas à se sentir adulte, enfermée dans son système de pensée. Les gens restent des spartiates, son père Swayze, sa mère Novatchok,ses frères Grandoux et Petit Prince, sa maison la praison, etc. Son incapacité à s’inclure dans le genre humain, qu’elle nomme son immanité, s’aggrave avec le temps. Elle essaye l’alcool, l’amour et les mathématiques mais rien n’y fait. La monstre en elle ne la laisse pas tranquille, sa détresse intérieure est indéchiffrable. Nous voulons l’aider ! Nous voulons comprendre avec elle ce mal-être qui la submerge. On souffre à ses côtés puisqu’elle est honnête avec nous, puisque nous sommes branchés directement à son cerveau. Elle ne ment pas, elle ne sait simplement pas.

A grand renforts de jeux de langage et de théorisations mathématiques, Léna Ghar tente d’expliquer tout ce que ni les mots, ni la logique ne peuvent appréhender. Paradoxalement, elle cache son héroïne derrière la multitude de signes qui doivent la révéler. L’exploration de cette intériorité cryptée, comme nous l’avons dit, nécessite une clé, qui ne nous est donnée qu’à la fin du livre.

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