Quand on eut mangé le dernier chien, de Justine Niogret, (Au Diable Vauvert, 2023) | par Ambre Guignet M1 LCI

Justine Niogret est une écrivaine française qui se consacre à la fantasy et la science-fiction. Ne souhaitant cependant pas en rester là, elle a étendu son champ d’écriture, ce dont témoigne Quand on eut mangé le dernier chien, un récit de voyage tiré d’une histoire vraie. Justine Niogret compare elle-même son œuvre à un récit « d’héroïsme, profond, humain, chaleureux ». Elle précise avoir essayé de retranscrire une histoire vraie sans pour autant promettre que chaque détail soit infaillible, et ce dans un style nu, modéré : une impression qu’on retrouve efficacement pendant la lecture. L’ascèse, un état spirituel, est au cœur du roman à la fois dans l’écriture et dans la réception : l’effet est donc atteint à la fois littérairement et méta-littérairement. 

Couverture de Quand on eut mangé le dernier chien, Justine Niogret (2006)

Elle nous plonge ici dans un récit polaire qui retranscrit l’expédition périlleuse et tragique de Douglas Mawson, un scientifique accompagné de Ninnis et Mertz cherchant à cartographier des terres inconnues de l’Antarctique. L’expédition tourne cependant au cauchemar, et la survie devient de plus en plus difficile. La nature prend le pas sur l’homme, malgré la bravoure et la détermination de celui-ci.  Il n’a pas sa place dans ce décor glacé et mortel, si ce n’est pour être en harmonie avec lui, dans un état d’ascèse spirituel. Petit à petit, les personnages se fondent dans ce décor, disparaissent dans ce blanc immaculé pour ne plus reparaître. Mawson est le dernier à céder, touchant (on l’imagine) cet état spirituel dans les dernières lignes, comprenant « enfin ce que cette terre lui avait offert ». Il s’agit à la fois du récit d’un échec et d’une victoire. L’homme, pourtant au centre du roman, est repoussé par la force de la nature dans ses derniers retranchements ; une perspective explicitée dès la couverture où l’on peut voir la neige repousser et écraser au dernier bord la seule présence humaine, à savoir l’Aurora. 

Justine Niogret s’est appuyée sur une histoire vraie et emploie une écriture quasi scientifique, donnant un réalisme frappant à l’histoire. Les trois hommes sont observés d’un point de vue externe qui retranscrit froidement leurs faits et gestes, la nature prend forme et se vivifie au point où l’on pourrait la palper à travers le papier… tout est fait pour que le lecteur croit à ce qu’il lit. 

Quand on eut mangé le dernier chien est un récit facile à parcourir de par une écriture simple, dénuée d’un surplus d’artifices qui pourraient entraver la lecture : on ne cherche pas à duper mais à faire vivre, expérimenter le lecteur. Chaque mot a son importance, son grammage, tout comme l’équipement de survie des personnages : on économise les mots, les forces, tout. On retrouve cette économie dans le traitement des rations par les personnages, qui doivent se résoudre à manger, petit à petit, la seule nourriture dont ils disposent : leurs chiens. L’emploi du passé antérieur dans le titre souligne magnifiquement le compte à rebours lancé pour leur survie, complété par l’intitulé des chapitres qui présentent une décroissance numérique : le temps est compté, inutile de s’attarder sur le superflue.

La survie est métalittéraire, elle dépasse le simple stade du récit.

 

Le récit est doté d’une tonalité glaçante, transposant au lecteur les difficultés subies par les personnages dans leur survie permanente : cette lutte constante devient celle du lecteur contre son gré, une expérience qui peut être désagréable lorsqu’on y est pas préparé. C’est un point qui a été apprécié par tous les critiques que j’ai pu lire, notamment Nicolas Winter, soulignant la qualité de l’écriture mordante et glaciale de Justine Niogret. Mais si cette écriture est remarquable par son efficacité, est-elle réellement agréable ? Aime-t-on frissonner non d’extase mais de froid lorsqu’on se plonge dans un roman ? 

De temps en temps, et c’est ce qui fait à mon sens tout le charme de ce roman, la violence fait place à la poésie, dans de courts passages que l’on prend grand plaisir à découvrir. Ces petites pauses dans la souffrance donnent une respiration dans l’écriture comme dans la lecture. 

« Ici, le vent dansait à sa façon et rien, absolument rien, ne savait danser avec lui. » p.9

La forme aérée et poétique de cette phrase allège presque la brutalité et la violence de sa signification : rien ne peut rivaliser avec le vent mais la beauté d’un tel phénomène nous le fait oublier. La fin est à cette image : Mawson se retrouve seul survivant de son expédition, entre la vie et la mort, il voit l’Aurora s’éloigner au loin et pourtant la dernière phrase porte un optimisme déconcertant. 

Le ton mortel et glaçant de l’œuvre détient une beauté propre qui se révèle lentement, qui s’entrouvre au lecteur malgré un récit qui ne fait que s’empirer pour les personnages : le beau naît là où le reste meurt. Il s’agit d’une beauté que je trouve cependant cruelle et douloureuse, presque amère : je ne saurais dire si elle est appréciable. 

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